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6 juin 2007

Les biocarburants, ou comment je me suis enduite d'erreur

corn_to_ethanol_2Il y a un an (deux ?), Maître Jedi et moi discutions avec beaucoup d'enthousiasme des biocarburants. Nous nous extasions, l'un comme l'autre, de la formidable alternative au pétrole qu'ils constituent. C'était génial de rouler "vert", et dégueulasse de la part des grosses compagnies pétrolières de vouloir empêcher le quidam de distiller pénard chez lui de quoi faire rouler Titine.

Bon. C'est évident : je m'a gouré. Que celui qui ne s'est jamais rendu coupable d'une vue une peu courte sur un sujet me jette la première pierre.

Le discours sur l'état de l'Union de G.W. Bush, en janvier 2007, m'avait déjà un peu ébranlée. Notre cowboy préféré y avait exprimé le souhait que les biocarburants représentent 15% du carburant utilisé par les véhicules aux Etats-Unis. Mais depuis la lecture du numéro 864 de Courrier International, le mot "bioéthanol" me fait carrément frémir !

C'est à la mode, les biocarburants. A la mode, grave. Et dans les biocarburants, le plus fun de tous, c'est le bioéthanol. Et par bioéthanol, on entend le plus souvent bioéthanol de maïs. C'est tellement fun, que le prix du maïs s'est envolé et se répercute désormais sur toute la chaîne alimentaire ("des oeufs aux sodas, en passant par le lait, les pâtisseries et la viande", selon The Wall Street Journal). Parce que le maïs est massivement utilisé pour nourrir les animaux, mais aussi comme édulcorant, sous forme de sirop, dans l'industrie agroalimentaire. Les autres végétaux transformables en éthanol (comme le blé ou le manioc) ou en biodiesel (comme le soja ou le colza) sont eux aussi soumis à des fortes pressions. D'ailleurs, selon la Commission Internationale des Céréales, à la fin du mois de juin 2007, les réserves mondiales de blé, de maïs et d'orge auront atteint leur plus bas niveau depuis les années soixante-dix.

C'est toujours pareil avec la mode : ça coûte les yeux de la tête. Ainsi, les prix alimentaires ont fortement augmenté au cours de ces derniers mois en Inde, en Chine, aux Etats-Unis, en Afrique du Sud et en Europe (enfin, nous, en France, on n'a pas à s'inquiéter puisque Nicolas Sarkozy Notre Guide a promis qu'il augmenterait le pouvoir d'achat. Mais bon, ne soyons pas égoïstes : il faut penser aux autres de temps en temps !). Certains pays ont déjà réagi. Ainsi, tandis qu'aux Etats-Unis, on vient d'instaurer une taxe dissuasive sur les importations d'éthanol (de maïs) brésilien et qu'on subventionne les exportations d'éthanol domestique ; en Chine, on a mis un frein à la construction d'usines de distillation de maïs pour produire de l'éthanol et on a réduit les subventions aux exportateurs de céréales ; en Inde, le gouvernement a supprimé les taxes sur les importations de maïs et interdit les exportations de blé.

Mais, comme toujours, le vrai gros risque est pour les populations les plus défavorisées. Selon différentes études (dont celles réalisées par la Banque Mondiale), la consommation calorique des populations les plus pauvres se réduit d'environ 0,5 % chaque fois que les prix moyens de tous les principaux produits alimentaires augmentent de 1 %. Si les prix des produits agricoles, désormais liés à ceux du pétrole, ne baissent pas, on estime que 1,2 milliard de personnes dans le monde ne mangeront pas à leur faim d'ici à 2025. Compte tenu des prix élevés du pétrole, un institut américain de recherches sur les politiques alimentaires (lIFPRI) estime que l'augmentation de la production de biocarburants entraînera une hausse des cours mondiaux du maïs de 20 % d'ici à 2010 et de 41 % vers 2020. Les prix des oléagineux (soja, colza, tournesol) devraient grimper de 26 % d'ici à 2010 et de 76 % d'ici à 2020. Ceux du blé, de 11 % puis de 30 %. Dans les régions les plus pauvres d'Afrique subsaharienne, d'Asie et d'Amérique latine, le prix du manioc devrait, sur les mêmes périodes, augmenter de 33 % et de 135 %.

Le pire dans tout ça (et là, on fricote pourtant déjà avec le sordide) ? Le pire, c'est que la culture intensive du maïs bousille les sols, pollue les nappes phréatiques et exige de grandes quantités d'engrais, de pesticides et de carburant pour pousser, mais aussi lors de la récolte et du séchage. Les effets sur l'environnement sont donc pour le moins contestables, d'autant que, les terres cultivables n'étant pas illimitées, cette mode entraîne également une déforestation intensive elle aussi ! Un article de Ian MacKinnon, paru dans The Guardian et traduit dans Courrier International, décerne "La palme de l'horreur" à l'Indonésie. Les sociétés indonésiennes, endettées par la crise financière de 1997, investissent massivement dans les plantations de palmiers à huile, bénéficiant pour cela de facilités de la part du gouvernement, qui verrait bien le pays parmi les leaders mondiaux de la production de biocarburants. Pour y parvenir, l'Indonésie envisage de doubler la superficie consacrée aux palmiers à huile (6,5 millions d'hectares actuellement) dans les 5 à 8 années à venir, et de la tripler d'ici à 2020. A ce rythme-là, on estime que dans 15 ans, 98 % des forêts pluviales (voir définition sur Wikipédia) d'Indonésie et de Malaisie auront disparu.

Alors, pour conclure ('tain, c'est longuet, ce soir, je m'en excuse platement) : les agriculteurs ne doivent pas faire pousser des trucs pour faire rouler les bagnoles, mais pour nourrir les populations ! Et sachant que pour faire le plein d'un gros 4x4 avec de l'éthanol pur, il faut plus de 200 kilos de maïs (soit assez de calories pour nourrir une personne pendant un an), il est clair que c'est ou l'un ou l'autre.

Par conséquent, il faut que chacun se résigne à enfourcher son vélo pour aller à la boulangerie (le plus souvent à 800 mètres de la maison du citadin moyen), prendre les transports en commun pour aller au boulot, ou au moins pratiquer avec aisance le covoiturage, même si on n'aime pas tellement faire de la route avec des inconnus. On peut aussi dire ça autrement : il faut que chacun se résolve à l'idée que la solution ne réside pas dans une alternative au pétrole, mais une alternative à la bagnole. Cette résolution-là porte un nom : la dé-croi-ssance.


Source : Courrier International n° 864 du 24 au 30 mai 2007
Biocarburants : L'arnaque - Pourquoi l'éthanol n'est pas très écolo (page 10 à 15)

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Commentaires
F
En aparté à cause du choix musical, je souligne qu'il m'arrive de penser à Bertrand Cantat comme à une personne blessée.<br /> Comment vit-on après tout ça ? Quel poids traîne-t-on après soi…<br /> <br /> [Quant à Bashung, que dire ! C'est un géant !].
F
Il y a des recherches menées par l'Ifremer, me semble-t-il, pour produire de l'éthanol à partir des algues. J'ai vu un reportage sur le sujet sur Arte (l'indispensable Arte). Ils arrivent à produire du bio-carburant avec une surface genre 4000 fois inférieure.<br /> Evidemment, on peut prendre le pari que la FNSEA ou d'autres s'opposeront de tous leurs petits bras musclés à cette concurrence déloyale.<br /> Toujoursl e problème des intérêts financiers. Donc ta conclusion est bien la bonne : vélorution !<br /> [Toulouse bien avant Paris, d'ailleurs !]
F
Merci de ta visite et aussi des liens (je ne connais pas du tout cette association).<br /> A bientôt.
L
Je suis arrivée ici via le blog de gwen. Je suis completement d'accord avec tes propos. <br /> Pour info, l'association kokopelli a lancé une pétition contre ce qu'ils appellent les "nécro-carburants" :<br /> http://www.kokopelli.asso.fr/actu/new_news.cgi?id_news=90<br /> http://www.moratoire-agro-carburants.com/signer.html<br /> Je m'en vais farfouiller ton blog d'un peu plus pres. à bientot....
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