Du métalangage (prisunicard)
Vu sur le blog "Ce n'est pas mon président ".
clash entre JF Kahn et JM Apathie sur C+
envoyé par MrZapouille
Qu'on ne se méprenne pas : Jean-François Kahn ne m'est pas particulièrement sympathique. Quant à Jean-Michel Apathie... S'il n'était pas une ancienne "voix de France Inter", nul doute qu'il me serait franchement insupportable. Mais en l'occurrence, on s'en fout. Ce qui est frappant dans ce "clash", c'est la ressemblance avec les discussions qu'on peut avoir au bistrot, au boulot, ou même en famille. En les écoutant, j'ai eu l'impression qu'ils ne parlaient tout simplement pas, plus la même langue.
Même impression que notre société se divise désormais nettement entre ceux qui parlent la LQR et les autres, en lisant Libé, ce matin : Rétention de sûreté : Morano accuse le PS de se mettre "clairement du côté des assassins" ; Robert Badinter : "Les fondements de notre justice sont atteints".
Déconstruire le discours sarkozyste, c'est d'abord prendre le temps de se réapproprier les mots, se souvenir de leur sens premier ; puis les replacer dans leur contexte, tenter d'expliquer leur nouveau sens, et enfin dire en quoi on les juge dangereux, du fait de leur détournement. Ca réclame beaucoup d'énergie, mais aussi du temps. Autant dire que ce n'est pas une activité télégénique et que Jean-François Kahn n'avait aucune chance de parvenir à se faire entendre.
Ce qui est angoissant, c'est que, pour une bonne partie d'entre nous, étiquetés "anti-sarko" (ce qui est réducteur, mais le sujet n'est pas là), nous nous trouvons tous (ou nous sommes tous trouvés) à un moment ou un autre dans la situation de Monsieur Kahn : face à quelqu'un qui appuie tout son "raisonnement" sur des "trouves-tu normal que" et des "moi, je suis du côté des", on s'essaye à la pédagogie, puis on s'emballe, on s'énerve et on bafouille parce qu'on sent bien que l'interlocuteur (on aura pris soin de le choisir de bonne foi) n'entrave que dalle à ce qu'on tente de lui expliquer.
Non pas que le sarkozyste (terme réducteur, encore une fois, puisque le problème dépasse largement le clivage gauche/droite : on en connaît tous des qui votent à gauche, mais raisonnent comme des sarkozystes) soit un sombre crétin ; simplement, il utilise un langage qui ressemble au nôtre pour décrire le monde tel qu'il le voit, tel qu'il croit qu'il est réellement. Très rapidement, on se retrouve ligoté par des liens de causes à effets dont on nie l'existence, ce qui revient à nier l'existence du monde dans lequel croit évoluer le sarkozyste (qui, rappelons-le, se proclame le plus souvent du bon sens et de la logique).
Cette dépossession du langage est sans doute le signe le plus inquiétant de ce que nous sommes en train de vivre. Nous ne sommes plus en mesure de nous comprendre et de nous faire comprendre. Et puisque "la violence est un manque de vocabulaire" (Gilles Vigneault), il devient chaque jour plus évident qu'on ne sortira pas de tout cela sans quelques dommages collatéraux...