La Morale de l'Histoire
Ca fait maintenant cinq jours que Sarkozy a eu sa brillante idée de faire porter la mémoire d'un enfant français mort dans la Shoah, doublée, que dis-je ! sublimée par celle de rétablir l'éducation civique et morale à l'école, avec apprentisage de la Marseillaise, et obligation de se lever à l'écoute de l'hymne national.
J'attendais de décolérer pour en parler. Que mes dents cessent de grincer, que mes cheveux soient moins dressés sur ma tête. Justement parce que je ne crois pas qu'on puisse réfléchir quand on est sous le coup de l'émotion, quelle qu'elle soit. Et oui, j'avoue, imaginer ma progéniture portant la mémoire d'un enfant mort, puis chantant ou écoutant la Marseillaise, debout, la main sur le coeur, ben ça m'a gravement émotionnée.
En fait, j'ai pas décoléré. Mais en me levant ce matin (assez tôt, pour une fois), j'étais décidée à passer outre et à commettre un billet quand même, avec un lien vers Décomposition, un autre vers La Morale, un encore vers Instrumentalisation psychiatrique, pédagogique et politique de la Shoah.
C'est déjà relativement difficile de transmettre ses principes à ses gamins, quand ces principes sont en si parfaite contradiction avec le monde tel qu'il est. C'est déjà assez fastidieux de leur expliquer que oui, c'est vrai, les manifs ne servent pas à grand chose dans la mesure où des lois (ou des traités) dont on ne veut pas sont votées quand même, mais que si si, c'est quand même important d'y aller, pour montrer qu'on n'est pas d'accord, qu'on est vigilant. (Manifs qu'on leur relate parce qu'on n'ose plus les y emmener, soit dit en passant.) Mais là, vraiment, c'est le pompon !
Qui peut croire qu'un mouflet à qui l'on aura confié la mémoire d'un enfant mort deviendra un citoyen éclairé ? Depuis quand la culpabilisation a-t-elle valeur de pédagogie ? Quel genre d'adultes allons-nous former avec de pareilles méthodes ? Du genre capables d'empêcher un nouveau génocide, s'il en voyait un venir ? Sans blague...
Mais est-ce vraiment le but, au fait ? Parce que faudrait voir à ne pas oublier que cette idée de génie vient de l'énergumène, devenu Président, qui déclarait révolu le temps de la repentance. Celui-là même qui, en janvier 2007, disait que "les fils n'ont pas à expier les fautes présumées de leurs pères". Celui-là enfin, qui établit des quotas et autorise des rafles à la sortie des écoles maternelles.
Alors quoi ? "Préparation à l'asservissement par la peur et les tripes", comme dit Iyhel ? Oui, sans doute... On anesthésie la raison à grands coups d'émotion ; on abrutit en prétendant éduquer. Franchement, j'ai beau tourner ça dans tous les sens, je n'arrive pas à en rire. En fait, je trouve ça carrément anxiogène, et on va dire que Le Yéti aura le mot de la fin : "Toute cette boue ne mériterait qu'un immense éclat de rire ou un cinglant coup de cravache, s'il n'y avait le risque que le vaste troupeau des soumis ne répercute ces glauques instructions."
NB : je poste ce billet plusieurs heures (quatre heures et demie, pour être précise) après l'avoir commencé, rapport à certaines priorités domestiques et dentaires. J'aurais aussi voulu parler de mon haut-le-coeur vers 8h30, ce matin, en lisant la dépêche AFP sur l'opération de grande ampleur à Villiers le Bel, mais le temps m'a manqué sur ce coup-là...