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Place Assise Non Numérotée
18 février 2008

La Morale de l'Histoire

Ca fait maintenant cinq jours que Sarkozy a eu sa brillante idée de faire porter la mémoire d'un enfant français mort dans la Shoah, doublée, que dis-je ! sublimée par celle de rétablir l'éducation civique et morale à l'école, avec apprentisage de la Marseillaise, et obligation de se lever à l'écoute de l'hymne national.

J'attendais de décolérer pour en parler. Que mes dents cessent de grincer, que mes cheveux soient moins dressés sur ma tête. Justement parce que je ne crois pas qu'on puisse réfléchir quand on est sous le coup de l'émotion, quelle qu'elle soit. Et oui, j'avoue, imaginer ma progéniture portant la mémoire d'un enfant mort, puis chantant ou écoutant la Marseillaise, debout, la main sur le coeur, ben ça m'a gravement émotionnée.

En fait, j'ai pas décoléré. Mais en me levant ce matin (assez tôt, pour une fois), j'étais décidée à passer outre et à commettre un billet quand même, avec un lien vers Décomposition, un autre vers La Morale, un encore vers Instrumentalisation psychiatrique, pédagogique et politique de la Shoah.

C'est déjà relativement difficile de transmettre ses principes à ses gamins, quand ces principes sont en si parfaite contradiction avec le monde tel qu'il est. C'est déjà assez fastidieux de leur expliquer que oui, c'est vrai, les manifs ne servent pas à grand chose dans la mesure où des lois (ou des traités) dont on ne veut pas sont votées quand même, mais que si si, c'est quand même important d'y aller, pour montrer qu'on n'est pas d'accord, qu'on est vigilant. (Manifs qu'on leur relate parce qu'on n'ose plus les y emmener, soit dit en passant.) Mais là, vraiment, c'est le pompon !

Qui peut croire qu'un mouflet à qui l'on aura confié la mémoire d'un enfant mort deviendra un citoyen éclairé ? Depuis quand la culpabilisation a-t-elle valeur de pédagogie ? Quel genre d'adultes allons-nous former avec de pareilles méthodes ? Du genre capables d'empêcher un nouveau génocide, s'il en voyait un venir ? Sans blague...

Mais est-ce vraiment le but, au fait ? Parce que faudrait voir à ne pas oublier que cette idée de génie vient de l'énergumène, devenu Président, qui déclarait révolu le temps de la repentance. Celui-là même qui, en janvier 2007, disait que "les fils n'ont pas à expier les fautes présumées de leurs pères". Celui-là enfin, qui établit des quotas et autorise des rafles à la sortie des écoles maternelles.

Alors quoi ? "Préparation à l'asservissement par la peur et les tripes", comme dit Iyhel ? Oui, sans doute... On anesthésie la raison à grands coups d'émotion ; on abrutit en prétendant éduquer. Franchement, j'ai beau tourner ça dans tous les sens, je n'arrive pas à en rire. En fait, je trouve ça carrément anxiogène, et on va dire que Le Yéti aura le mot de la fin : "Toute cette boue ne mériterait qu'un immense éclat de rire ou un cinglant coup de cravache, s'il n'y avait le risque que le vaste troupeau des soumis ne répercute ces glauques instructions."

NB : je poste ce billet plusieurs heures (quatre heures et demie, pour être précise) après l'avoir commencé, rapport à certaines priorités domestiques et dentaires. J'aurais aussi voulu parler de mon haut-le-coeur vers 8h30, ce matin, en lisant la dépêche AFP sur l'opération de grande ampleur à Villiers le Bel, mais le temps m'a manqué sur ce coup-là...

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Commentaires
F
Merci ! Je ne l'ai pas lu et avais même complètement oublié que je voulais le lire ! Ce sera pour après American Darling, de Russell Banks (paru chez Actes Sud, aussi)...<br /> <br /> Bises !
F
Imre Kertesz (prononcez Kertéche) est vraiment à lire d'urgence sur le sujet. "Etre sans destin" où tout se comprend sur la fin du livre et bien sûr "kaddish" dans lequel est justement traité le poid de la mémoire...<br /> :-))
G
Vous avez raison, Iyehel, la proposition de Sarkozy est à point de Goodwin intégré: pour moi, c'est l'utilisation de la Shoah. Et on a l'impression qu'il ne peut y avoir de réponse rationnelle, parce que la raison est pétrifiée devant la Shoah, et parce qu'il faut faire un sacré travail pour se dégager de cette paralysie... Mais je crois que c'est possible (et salubre).<br /> <br /> Pour finir, je voudrais citer un passage de "Kaddish pour l'enfant qui ne naîtra pas" de Imre Kertész (un livre que j'ai rangé parmi ceux que je relis sans jamais avoir en avoir fini avec eux). Le narrateur, rescapé d'Auschwitz, participe à un réunion amicale.<br /> "...et quelqu'un fit la proposition mélancolique que chacun dît 'où il avait été', et, alors, avec un tambourinement morne, comme d'un nuage qui a depuis longtemps déchargé son énergie, des noms se mirent à tomber: Mauthausen, le méandre du Don, Recsk, la Sibérie, Gyüjtö, Ravensbrück, la rue Fö, 60 rue Andrassy, les villages de relégation, les prisons d'après 56, Buchenwald, Kistarcsa, je craignais déjà que ce fût mon tour, mais heureusement, je fus devancé: "Auschwitz", dit quelqu'un, avec la voix modeste mais assurée du vainqueur, et l'assemblée hocha gravement la tête: "Imbattable", admis le maître de maison, avec un sourire mi-figue mi-raisin, mais au fond admiratif."<br /> <br /> Sarkozy a dit "Shoah". Imbattable!
I
je ne sais plus si je l'ai déjà mentionné quelque part, pour préciser mon idée d'asservissement par les tripes et la peur, en fait ça s'apparente à une espèce de réactualisation du mythe de l'Ogre. "Attention, si vous n'êtes pas sages, le vilain Ogre de la Shoah viendra vous manger vous aussi." Libre à chacun, mais surtout à la Parizot, de définir la sagesse.<br /> <br /> Sinon, je crois que c'est notre président qui l'a atteint tout seul, avec son utilisation outrancière et dévoyée du moindre symbole. Sa proposition, c'est le point Godwin de sa politique ; on râle, on râle, mais objectivement, qu'est-ce qu'on peut RATIONNELLEMENT opposer à un hurluberlu pareil ? Il est donc temps d'arrêter de chercher à réagir à ses élucubrations (lesquelles dans 90% des cas ne seront pas suivies d'effet, les profs n'ont pas voulu lire la lettre de Guy Moquêt en septembre dernier, vous les voyez marcher sur ce coup-là ?!) et de retrouver, justement, la raison et les points d'action réels à notre portée.
F
@ Françoise : j'en profite pour te dire que ta série de billets sur "Le poids des morts" est vraiment super !<br /> <br /> @ Christophe : accélération et avalanche, en effet... C'est pourquoi je poste plus de photos que de textes, ces derniers temps. Si on réagit trop vite (comme peuvent le faire parfois les journalistes) à l'actualité, sans prendre le temps de réfléchir, on dit plus de conneries qu'autre chose. Certains blogs politiques s'en sortent très bien. Pour ma part, je ne me sens pas à la hauteur. Il y en a beaucoup trop, tous les jours. De temps en temps, ça me déprime tellement que je préfère réserver à mes proches (ces chanceux !) ma morosité, mon indignation, ma colère et mes angoisses.<br /> <br /> @ Chat d'Oc : entièrement d'accord avec toi !<br /> <br /> @ Deudeu : on est tous d'accord depuis le début pour dire que c'est n'importe quoi, cette mesure ! Ce sont les nuances qui sont intéressantes ;-)<br /> <br /> Bises !
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