Winston's blues
Jusqu'où peuvent-ils aller sans que personne ne bronche ?
Où se situe la limite entre l'acceptable et l'inacceptable ? Sera-t-elle au même endroit demain ? Et la semaine prochaine ? Et dans quatre ans et demi ?
On vit tous comme si nos droits étaient acquis une bonne fois pour toute, et que rien ni personne ne pouvait nous les retirer. Pourtant, ça fait des années que nos droits sont grignotés comme des biscuits. Droit du travail. Droit de grève. Droit à l'assurance chômage, à l'assurance maladie. Droit aux allocations. Droit de circuler librement et droit au respect de la vie privée (je pense aux caméras de vidéosurveillance qui ont fleuri un peu partout dans les centres villes, là).
On nous a enfoncé dans le crâne que ceux qui n'ont rien à se reprocher n'ont rien à craindre. Qu'il est regrettable, certes, mais indispensable de faire des concessions. Moins de sécurité sociale pour conserver la sécurité sociale. Moins d'augmentation de salaire pour pouvoir continuer à travailler. Moins de services publics pour conserver les services publics. On peut continuer longtemps comme ça...
Il n'y a pas si longtemps encore, je voulais bien croire que ma perception du monde n'était due qu'à une sorte d'hyperpolitisation, ou à une tendance trop marquée à faire des liens, ou à un gauchisme incurable. Appelez ça comme vous voudrez. Certaines fois, j'ai même concédé que peut-être, je poussais un peu loin.
Mais ce matin, en lisant sur le blog NRV qu'un médecin responsable syndical avait été convoqué par le préfet de l'Isère, qui lui a agité sous le nez des copies de mails qu'il avait échangé avec le porte-parole des urgentistes, Patrick Pelloux, je me suis demandé si c'était bien raisonnable de chaque fois se raccrocher au leitmotiv "on est en démocratie... on est encore en démocratie... on est quand même en démocratie...".
La démocratie ne nous protège de rien. C'est juste une organisation politique. Un cadre.
Il y a deux jours, j'ai regardé Mémoire d'un saccage (Argentine, le hold-up du siècle), de Fernando Solanas. Ce film, dédié par son réalisateur "à tous ceux qui résistent avec dignité et courage", retrace les différentes étapes qui ont conduit à l'effrondrement économique et social de l'Argentine. Jusqu'au soulèvement populaire de décembre 2001. Le pillage de ce pays a été organisé dé-mo-cra-ti-que-ment. Ce n'est pas la dictature militaire qui a saccagé l'Argentine ; ce sont des hommes élus par le peuple lui-même. (Ca ne veut évidemment pas dire que la démocratie ou la dictature, c'est la même chose.)
Pour en savoir plus sur la convocation du médecin par le préfet
Intrusion(s), de Sébastien Fontenelle
Le préfet de l'Isère lit vos mails..., Libertés Internets
Police politique : un préfet..., Le Post
Pour en savoir plus sur Mémoire d'un saccage
De l'utilité du cinéma pour l'histoire : Mémoire d'un saccage, Fluctuat.net
Et pour les malheureux qui auraient encore un moral d'acier
Rafle à la sortie d'une école bilingue, RESF
Un bébé sans-papiers en garde-à-vue pendant 9 heures, Nouvel Obs