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Place Assise Non Numérotée
7 septembre 2007

Le zazard fait bien les choses

IMG_9105En discutant hier soir de la lettre de Christine Albanel à Henri Taquet avec Monsieur le père de mes enfants, j'ai appris que l'objet de la polémique, à savoir le programme du théâtre Le Granit, somnolait sagement dans la boîte à gants de la voiture familiale ! Après une petite hésitation (à première vue, il a cru que c'était un genre de trucs X pour routiers esseulés), l'Homme l'a pris là où le hasard d'une pause-pipi urgentissime de Fils Sandwich l'a contraint de s'arrêter (une demi-heure à peine après avoir quitté la maison de Papy et Mamie, mais ça, j'imagine que vous vous en foutez éperdûment).

Bref. Tout ça pour dire que je suis en mesure de recopier cet édito avec mes petites mains, pour ceux qui n'auraient pas lu le billet d'Etienne Fillol évoqué hier, et n'auraient par conséquent pas cliqué sur le lien vers Le Fil d'A, où il est en intégralité (l'édito, pas Etienne Fillol).

L'EDITO - Les préliminaires

Cher Henri [Henri Taquet, directeur],

Je t'écris un peu en catastrophe, mais je ne m'en sors pas avec l'éditorial pour la plaquette du Granit. Nous sommes le 31 mai, Elise [Elise Ruysschaert, secrétaire générale] m'a demandé le texte pour le 5 juin, et je suis totalement bloqué. J'ai essayé plein de trucs, y'a rien qui va. Le problème, évidemment, c'est l'élection de Sarkozy. Je t'avais dit que je voulais attendre le résultat, parce qu'il influerait certainement sur ce que j'aurais à dire. Et aujourd'hui encore, ça me semble totalement impossible de ne pas en parler, ou de parler d'autre chose, ou de faire comme s'il ne s'était rien passé. Mais en même temps, je dois me rendre à l'évidence : cet évènement, pour l'instant, je n'ai rien à en dire. Alors on peut penser : cest le choc, la détresse, l'émotion blabla. Mais ce n'est même pas ça. C'est juste que c'est trop tôt pour avoir quelque chose à dire. Et donc, assumer une tribune politique, aussi confidentielle soit-elle (on ne va pas se raconter d'histoires), dans ce moment précis, c'est impossible pour moi. Tu te souviens du texte de Deleuze dans Ca ira quand même : "La bêtise n'est jamais muette, ni aveugle. Si bien que le problème n'est plus de faire que les gens s'expriment, mais de leur ménager des vacuoles de solitude et de silence à partir desquelles ils auraient enfin quelque chose à dire. Les forces de répression n'empêchent pas les gens de s'exprimer, elles les forcent au contraire à s'exprimer. Douceur de n'avoir rien à dire, droit de n'avoir rien à dire, puisque c'est la condition pour que se forme quelque chose de rare ou de raréfié qui mériterait un peu d'être dit."
Tu penseras peut-être que je me cache derrière Deleuze pour me défiler. Evidemment, je sais que cet évènement - l'élection de Sarkozy - peut avoir des conséquences profondes, et probablement désastreuses, sur le cours de nos existences. Nous devrons sans doute modifier nos pratiques, nos manières de faire du théâtre, non pas pour "résister" (tu sais ce que je pense de l'emploi très abusif de ce mot), simplement pour
répondre. Mais en même temps, là, tout de suite, je n'ai pas très envie de donner mon avis personnel sur l'accession au pouvoir d'un président démocratiquement élu moins d'un mois après l'évènement. Un moment, j'ai pensé écrire un texte un peu déconnant, comme celui pour la présentation de We are la France. Mais c'est pour le spectacle, c'est très différent. Là, pour l'édito, j'ai pas très envie de déconner. Alors, bon, essayer de parler d'autre chose ? Je t'ai dit, j'ai essayé, je n'y arrive pas. J'espère que ma lettre ne t'alarmera pas sur mon état. Rassure-toi, je vais bien, et même, depuis le 6 mai, je vais mieux. Pendant presque cinq ans, j'ai vécu (comme beaucoup de gens) avec l'angoisse de voir Nicolas Sarkozy devenir président de la République. Depuis le 6 mai, cette crainte s'est envolée : Nicolas Sarkozy est devenu président de la République. Il n'y a plus lieu de redouter l'évènement dès lors qu'il a eu lieu. La seule question, comme toujours, c'est : comment faire avec ? C'est une question joyeuse, au fond, très roborative en tout cas. Mais je vais mieux aussi parce que depuis le 6 mai, des choses très concrètes se sont améliorées dans ma vie. J'ai par exemple découvert que mon voisin, avec lequel j'entretenais des rapports tout juste polis, n'a pas voté pour Nicolas Sarkozy. Du coup, non seulement ça simplifie les questions de clotûre et de mitoyenneté, mais en plus, s'il a besoin, je suis prêt à lui garder son chien. Je sais que je te préviens bien tard, et qu'il te sera difficile de te retourner sur l'édito. Je me suis dit, en catastrophe, qu'on pouvait peut-être mettre un poème d'Aragon. Ou un texte de Massera. Ou un mot bien senti d'un père fondateur sur la liberté irréductible du théâtre (genre : "le théâtre c'est bien", signé Jean Vilar). Ou du Bourdieu. Ou du Foucault (ou un autre soixante-huitard bien suspect, hahaha). Ou une photo de Lénine. Ou alors, en hommage à Alstom, les paroles de Joe Dassin : "Ca va pas changer le monde". Ca va pas changer le monde ? Nous verrons bien. Restons groupés, comme dit Xavier [Xavier Croci, directeur du Forum culturel de Blanc-Mesnil].

Amitiés, Benoît [Benoît Lambert, metteur en scène associé]

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Commentaires
F
Le payeur commande et dirige le contenu de la culture. C'est vraiment une logique ultra-libérale. L'argent décide pour nous ! :-)
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