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Place Assise Non Numérotée
6 janvier 2011

Appuyer sur la touche "REW"

playmobil_police_2« Le temps est venu de reconnaître la place du secteur privé dans la protection de nos concitoyens. »

Ainsi parlait Michèle Alliot-Marie, il y a tout juste deux ans. Ou plutôt ainsi écrivait-elle, dans un livre blanc sur "la participation de la sécurité privée à la sécurité générale en Europe", auquel Le Figaro, par un heureux hasard, avait eu accès avant tout le monde. Jean-Marc Leclerc nous avait donc gratifié d'un article merveilleusement dégagé sur ledit livre blanc, "préfacé par le président de la République en personne", rendez-vous compte !

Les médias s'émeuvent aujourd'hui unanimement de l'initiative de deux journalistes, Linda Bendali et Mathieu Lere, qui ont réussi à déjouer les contrôles de sécurité puis à prendre chacun un avion avec une arme démontée dans leur bagage à main, et ont réalisé un reportage intitulé "Police privée : la sécurité au rabais". Et si les médias ont foncé tête baissée dans le panneau de la "sécurité-au-rabais", il n'en est pas un qui ait profité de l'aubaine pour faire un point sur la privatisation de la sécurité en France. C'est pourtant une magnifique occasion de rappeler que la privatisation de la police est en marche depuis un bon moment déjà, que 12000 postes de policiers ont été supprimés au cours de ces cinq dernières années, et que des entreprises privées se partagent le (gros) gâteau du "marché de la sécurité".

le_manuel_de_l_agent_de_securiteCar la sécurité est un "marché". Comme la santé et l'éducation. Un marché qui se porte très bien, non pas malgré la crise, mais plutôt grâce à elle. Ben oui, quand ça va mal, "le peuple" rue parfois dans les brancards. Et ça nous donne tout un tas d'"émeutes" et autres "violentes manifestations" à réprimer, sans parler de la "prévention" de ces violences qui nécessitent des installations de type caméras de surveillance, des agents de sécurité dans les couloirs du métro, tout ça tout ça. Bref, le marché de la sécurité se porte bien, et Marc Ferrero, président du SNES* (Syndicat National des Entreprises de Sécurité), affirmait en juillet dernier que « le transfert au privé par la sécurité publique de missions de surveillance et prévention n’ayant plus vocation à rester étatisées, va renforcer cette tendance positive. », ajoutant que « [d]es données officielles pronostiquent que la surveillance humaine va passer de 159 000 à 300 000 salariés d’ici une décennie. »

La LOPPSI 2** (Loi d'Orientation et de Programmation pour la Performance de la Sécurité Intérieure), adoptée en deuxième lecture par nos députés, le 21 décembre dernier (à 305 voix contre 187), prévoit la création d'une "réserve civile", composée de policiers à la retraite, mais aussi de vigiles privés contractualisés pour des missions temporaires en tant que "collaborateurs occasionnels" de la police. Cette loi met également en place un Conseil National des Activités Privées de Sécurité, à l'élaboration duquel le SNES* (encore lui), qui a visiblement force de proposition, a activement participé, en exigeant notamment que les organisations patronales représentent le secteur de la sécurité privée au sein du CNAPS.

Non, les gens ne sont pas cons (d'ailleurs, "les gens" c'est vous, c'est toi, c'est nous). J'ai même la faiblesse de croire que si cette loi ignoble est passée les doigts dans le nez, si la mobilisation contre elle a été aussi molle et peu suivie, c'est parce que "le peuple" dans sa grande majorité en ignorait le contenu. Et pour ceux et celles qui ont lutté, tenté d'informer et de mobiliser, il faut aussi rappeler que nous n'avons pas seulement à faire face à l'inertie de nos concitoyens (quelle qu'en soit la cause), mais également à ce que Didier Bigo, dans un éditorial de Cultures & Conflits de l'hiver 2003, intitulé "Les entreprises de coercition para-privées : de nouveaux mercenaires ?", appelait ces "universitaires [qui] se sont faits le relais de la propagande de ces entreprises qui avaient développé, via leurs experts en communication, des stratégies de « neutralisation » des critiques de l'opinion publique".

Ces stratégies ont été si bien développées et mises en place, et les médias font preuve d'une telle complaisance et de si peu de curiosité, qu'aujourd'hui une simple formule, déclinaison du sinistre TINA, "neutralise" fort efficacement toute tentative de début de polémique : « [o]n ne peut pas revenir en arrière » (dixit Patrice Ribeiro, secrétaire général du syndicat policier Synergie-Officiers, cité par l'AFP dans son communiqué de presse).

Il s'agirait maintenant de montrer que non seulement on peut revenir en arrière, mais qu'on doit le faire.

* Pour ceux et celles que ça intéresserait, vous pouvez télécharger et jeter un œil au compte-rendu du 19ème Congrès National de la Sécurité Privée qui s'est tenu à Strasbourg, en octobre dernier. C'est... étourdissant.

** La LOPPSI 2 est un ramassis d'articles et d'amendements tous plus immondes les uns que les autres. À elle seule, cette loi nécessite plusieurs billets. J'ai choisi de n'évoquer que ces deux dispositions, mais il ne faut surtout pas passer à côté des autres. On trouvera un lien vers la synthèse de LOPPSI 2 mise en ligne par le Syndicat de la Magistrature (en pdf) sur le site Halem. Et dès le 12 janvier, on pourra lire l'article que Guy M. y consacre, dans le numéro 2 d'Article-Onze-version-papier.

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