Je me roulerais bien par terre, mais je suis trop grande...
C'est vraiment bizarre : dans vingt heures, ça fera une semaine que Sarkozy a été élu Président, et je ne digère toujours pas l'information... C'est comme si tout mon être refusait cette triste réalité. Rien à voir avec un refus de démocratie : c'est épidermique, viscéral (génétique ?).
La première fois que j'ai pu voter, c'était en 1995. J'avais dix-neuf ans. Bulletin Jospin, sans conviction, au premier tour, puis au second (je savais avec certitude que j'étais de gauche, mais j'ignorais encore à quel point). Et dépouillement à vingt heures, par curiosité autant que par sens du devoir civique. Je me suis retrouvée à la table d'un de mes anciens voisins de palier, lepéniste revendiqué à une époque où personne n'osait encore lire Minute dans les transports en commun, en sortant du boulot. Il a dû voir que j'étais un peu paumée, au milieu de tout ça, un peu intimidée ; il m'a couvée tout le temps qu'a duré le dépouillement. Et, tout en méprisant ses opinions politiques (oui, on méprise facilement à dix-neuf ans ; pour certains, c'est même pire avec l'âge), je dois dire que je lui en ai été infiniment reconnaissante. Bref. Chirac a été élu, et je suis rentrée chez moi dépitée. Le lendemain, j'ai fait la gueule toute la journée, pour bien contraster avec le sourire de mes petites camarades, au lycée privé catholique du sixième arrondissement où j'étais inscrite. Le surlendemain, c'était digéré (quoi que j'aie continué de me prendre la tête quelques temps avec les dindes qui débitaient bêtement les âneries de leurs parents : "Quatorze ans de socialisme, ça suffit !", "Mitterrand, y a marre !", etc. ; je dis "bêtement" parce qu'on avait toutes le même âge, donc on avait connu QUE Mitterrand. Difficile de comparer !).
Je passe sur l'élection présidentielle de 2002, parce que tout le monde l'a bien en mémoire, hein...
Mais là, c'est différent. Je suis trop vieille, trop démocrate, trop mère de famille, et surtout trop non-violente pour aller lancer des canettes sur des CRS (ou sur qui que ce soit, d'ailleurs), à la Bastille ou ailleurs ; pourtant, sans les approuver, je comprends que des jeunes crétins le fassent (en cela, je rejoins Guillermo : lire Sous les pavés, la taule) . J'éprouve une colère qui m'étonne moi-même. Un sentiment de victoire déloyale. Et, tout bien réfléchi, je crois que de sentir une telle rage en moi, ça m'effraie encore davantage que Nicolas Sarkozy et son programme...
L'image a été trouvée avec Google et est tirée du site http://florence.delclos.org (vous pouvez aussi cliquer sur le dessin).